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03/05/2015

Lire les classiques - Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine

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Il est un nom caché dans l'ombre de mon âme, 
Que j'y lis nuit et jour et qu'aucun oeil n'y voit, 
Comme un anneau perdu que la main d'une femme 
Dans l'abîme des mers laissa glisser du doigt.
 
Dans l'arche de mon coeur, qui pour lui seul s'entrouvre, 
Il dort enseveli sous une clef d'airain; 
De mystère et de peur mon amour le recouvre, 
Comme après une fête on referme un écrin.
 
Si vous le demandez, ma lèvre est sans réponse, 
Mais, tel qu'un talisman formé d'un mot secret,
Quand seul avec l'écho ma bouche le prononce, 
Ma nuit s'ouvre, et dans l'âme un être m'apparaît.
 
En jour éblouissant l'ombre se transfigure;
Des rayons, échappés par les fentes des cieux, 
Colorent de pudeur une blanche figure 
Sur qui l'ange ébloui n'ose lever les yeux.
 
C'est une vierge enfant, et qui grandit encore; 
Il pleut sur ce matin des beautés et des Jours; 
De pensée en pensée on voit son âme éclore, 
Comme son corps charmant de contours en contours.
 
Un éblouissement de jeunesse et de grâce 
Fascine le regard où son charme est resté. 
Quand elle fait un pas, on dirait que l'espace
S'éclaire et s'agrandit pour tant de majesté.
 
Dans ses cheveux bronzés jamais le vent ne joue. 
Dérobant un regard qu'une boucle interrompt, 
Ils serpentent collés au marbre de sa joue, 
Jetant l'ombre pensive aux secrets de son front.
 
Son teint calme, et veiné des taches de l'opale, 
Comme s'il frissonnait avant la passion, 
Nuance sa fraîcheur des moires d'un lis pâle, 
Où la bouche a laissé sa moite impression.
 
Sérieuse en naissant jusque dans son sourire,
Elle aborde la vie avec recueillement; 
Son coeur, profond et lourd chaque fois qu'il respire, 
Soulève avec son sein un poids de sentiment.
 
Soutenant sur sa main sa tête renversée,
Et fronçant les sourcils qui couvrent son oeil noir, 
Elle semble lancer l'éclair de sa pensée 
Jusqu'à des horizons qu'aucun oeil ne peut voir.
 
Comme au sein de ces nuits sans brumes et sans voiles,
Où dans leur profondeur l'oeil surprend les cieux nus,
Dans ses beaux yeux d'enfant, firmament plein d'étoiles, 
Je vois poindre et nager des astres inconnus.
 
Des splendeurs de cette âme un reflet me traverse;
Il transforme en Éden ce morne et froid séjour. 
Le flot mort de mon sang s'accélère, et je berce 
Des mondes de bonheur sur ces vagues d'amour.
 
- Oh! dites-nous ce nom, ce nom qui fait qu'on aime; 
Qui laisse sur la lèvre une saveur de miel! 
- Non, je ne le dis pas sur la terre à moi-même; 
Je l'emporte au tombeau pour m'embellir le ciel.
 

Alphonse de Lamartine, Un nom, dans: Oeuvres poétiques (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1997)

image: Alfred Stevens, Tête de femme (p6.storage.canalblog.com)

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27/04/2015

Lire les classiques - Sully Prudhomme

Sully Prudhomme

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Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, 
Des yeux sans nombre ont vu l’aurore; 
Ils dorment au fond des tombeaux, 
Et le soleil se lève encore. 
 
Les nuits, plus douces que les jours, 
Ont enchanté des yeux sans nombre; 
Les étoiles brillent toujours, 
Et les yeux se sont remplis d’ombre. 
 
Oh! qu'ils aient perdu leur regard, 
Non, non, cela n’est pas possible! 
Ils se sont tournés quelque part 
Vers ce qu’on nomme l’invisible; 
 
Et comme les astres penchants 
Nous quittent, mais au ciel demeurent, 
Les prunelles ont leurs couchants, 
Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent. 
 
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, 
Ouverts à quelque immense aurore, 
De l’autre côté des tombeaux 
Les yeux qu’on ferme voient encore. 
 

Sully Prudhomme, Les solitudes - Poésies (L'Harmattan, 1995)

image: Sandro Botticelli, Portrait of a Young Woman (paintingdb.com)

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25/04/2015

Morceaux choisis - Philippe Claudel

Philippe Claudel

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Quand je serai grande mon Papa
Tu seras vieux
Tu seras las
Mais moi
Je serai toujours
Toujours là
Tout près de toi
Tout contre toi
C'est moi alors qui te dirai
En t'embrassant dans le creux de l'oreille
Les mondes et les merveilles
Les lunes et les soleils
Te dire qu'il nous restera
A toi à moi
Mille choses à faire
Mille choses à dire
Mille jeux de l'oie
Mille mois de mai
Mille mois de mai
 
Aux mois de mai ma toute belle
Je préfère mille fois ces mots de toi
Dis-les-moi, dis-les-moi à l'oreille
Ma petite si petite merveille
 
Quand je serai grande mon Papa
Tu seras vieux
Tu seras las
Mais moi
Je serai toujours
Toujours là
Tout près de toi
Tout contre toi
Rien ne changera
Promets promets-le moi
La vie c'est une belle histoire hein Papa
Une histoire de sucre
Un vrai conte de miel
Avec des rêves
Des champs de soie
Des fées et des princesses
Des chevaux blancs
Des arbres doux
Et puis surtout
Des mois de mai
Des mois de mai
La vie c'est tout ça
N'est-ce pas mon Papa
 
Aux mois de mai ma toute belle
Je préfère mille fois ces mots de toi
Dis-les-moi, dis-les-moi à l'oreille
Ma petite si petite merveille
 
Quand tu étais un tout petit garçon
Mon Papa mon doux Papa
 

Philippe Claudel, Les mois de mai, dans: Le monde sans les enfants et autres histoires - Dessins de Pierre Koppe (coll. Livre de poche/LGF, 2011)

image: lachenaie.over-blog.fr 

 

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19/04/2015

Lire les classiques - Joris Karl Huysmans

Joris Karl Huysmans

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O toi dont l'oeil est noir,
les tresses noires,
les chairs blondes,
écoute-moi, ô ma folâtre louve!
 
J'aime tes yeux fantasques,
tes yeux qui se retroussent sur les tempes;
j'aime ta bouche rouge comme une baie de sorbier,
tes joues rondes et jaunes;
j'aime tes pieds tors,
ta gorge roide,
tes grands ongles lancéolés,
brillants comme des valves de nacre.
 
J'aime, ô mignarde louve, ton énervant nonchaloir,
ton sourire alangui,
ton attitude indolente,
tes gestes mièvres.
 
J'aime, ô louve câline, les miaulements de ta voix,
j'aime ses tons ululants et rauques,
mais j'aime par-dessus tout, 
j'aime à en mourir, ton nez,
ton petit nez qui s'échappe des vagues de ta chevelure,
comme une rose jaune éclose
dans un feuillage noir.
 

Joris-Karl Huysmans, Le drageoir aux épices (Champion, 2003)

image: Jun Kumaori (paloma511.skyrock.com)

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18/04/2015

Morceaux choisis - Emily Dickinson

Emily Dickinson

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On apprend l'eau par la soif,
La terre par les océans traversés,
La jubilation par les affres,
La paix par le récit des batailles,
L'amour par l'humus de la tombe,
Les oiseaux par la neige.
 

Emily Dickinson, "Poésies complètes, 1859", édition bilingue (Flammarion, 2009)

Traduction: Françoise Delphy

image: comeviaggiareinformati.it

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14/04/2015

Morceaux choisis - Antoine Pol

Antoine Pol

littérature; poésie; anthologie; livres

Je veux dédier ce poème 
A toutes les femmes qu'on aime 
Pendant quelques instants secrets 
A celles qu'on connaît à peine 
Qu'un destin différent entraîne 
Et qu'on ne retrouve jamais
A celle qu'on voit apparaître 
Une seconde à sa fenêtre 
Et qui, preste, s'évanouit 
Mais dont la svelte silhouette 
Est si gracieuse et fluette 
Qu'on en demeure épanoui
 
A la compagne de voyage 
Dont les yeux, charmant paysage 
Font paraître court le chemin 
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre 
Et qu'on laisse pourtant descendre 
Sans avoir effleuré sa main
 
A la fine et souple valseuse 
Qui vous sembla triste et nerveuse 
Par une nuit de carnaval 
Qui voulut rester inconnue 
Et qui n'est jamais revenue 
Tournoyer dans un autre bal
 
A celles qui sont déjà prises 
Et qui, vivant des heures grises 
Près d'un être trop différent 
Vous ont, inutile folie, 
Laissé voir la mélancolie 
D'un avenir désespérant
 
A ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor votre deuil
A celles qui s'en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d'un stupide orgueil
 
Chères images aperçues 
Espérances d'un jour déçues 
Vous serez dans l'oubli demain 
Pour peu que le bonheur survienne 
Il est rare qu'on se souvienne 
Des épisodes du chemin
 
Mais si l'on a manqué sa vie 
On songe avec un peu d'envie 
A tous ces bonheurs entrevus 
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre 
Aux coeurs qui doivent vous attendre 
Aux yeux qu'on n'a jamais revus
 
Alors, aux soirs de lassitude 
Tout en peuplant sa solitude 
Des fantômes du souvenir 
On pleure les lèvres absentes 
De toutes ces belles passantes 
Que l'on n'a pas su retenir.
 

Antoine Pol, Les passantes, dans: Emotions poétiques (www.paperblog.fr)

image:  Barbara (yuu827.s342.xrea.com)

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12/04/2015

Lire les classiques - Jean Moréas

Jean Moréas

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Roses, en bracelet autour du tronc de l'arbre,
Sur le mur, en rideau,
Svelte parure au bord de la vasque de marbre
D'où s'élance un jet d'eau,
 
Roses, je veux encor tresser quelque couronne
Avec votre beauté,
Et comme un jeune avril embellir mon automne
Au bout de mon été.
 

Jean Moréas, Oeuvres (Mercure de France, 1981)

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10/04/2015

Morceaux choisis - Valeria Nkomeshya

Valeria Nkomeshya

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Mes mains, ô mes mains
Autrefois toutes petites, inutiles
Maintenant je vous appelle compagnes
Je suis une grande fille maintenant
J'ai léché vos doigts
Vous m'avez nourrie.
 
O mes mains
Vous avez appris tous les arts
Grâce à vous je communique
Grâce à vous je coupe le bois
Mains chéries
O fidèles compagnes.
 
Si je pleure
Vous séchez mes larmes
Si je ris, vous applaudissez
Si je vois une amie, vous faites signe
 
Mains mains, ô mes mains
Vos grattez mes démangeaisons
Vous jardinez pour me nourrir
 
Mes mains, sans vous je ne suis rien
Mes mains, je promets de vous faire connaître
Je vais vous présenter au reste de mon corps
Car sans vous
Il est tout misérable
 
Avec vos dix fidèles serviteurs
Mes mains, vous êtes mon étoile
Mes mains, vous êtes la tête
De tout mon être
Je vous voudrais que le Monde
soit comme vous.
 

Voix de femmes - Anthologie / Poèmes et photographies du monde entier (Editions Turquoise, 2012)

image: burunditransparence.org

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06/04/2015

Morceaux choisis - Jean Mambrino

Jean Mambrino

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S'entendre soi-même dans la musique, se reconnaître dans la couleur du soleil, la couleur du soi dans le soleil, ou la couleur de la nuit qui nous ressemble. Le tremblement de terre mime aussi le sommeil. Et le volcan éteint du coeur se mire dans les lacs. Si chacun est son miroir, les murs seront miroirs, les mains se rejoindront à travers les murs. L'eau des miroirs se tient debout. Les temps sont venus. L'incertain est sûr.

Jean Mambrino, Entrez dans la danse, dans: La saison du monde (José Corti, 1986)

image: John William Waterhouse, Mariana in the South (microargumentos.blogspot.com)

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05/04/2015

Lire les classiques - Paul Verlaine

Paul Verlaine

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Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.
 
J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée,
Rêve des chers instants qui la délasseront.
 
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
 

Paul Verlaine, Green, dans: Romances sans paroles/Cellulairement (coll. Livre de poche/LGF, 2002)

image: Jean-Paul Proix, La belle endormie / 1932 (arcadja.com)

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